Je n’ai jamais compris pourquoi l’allaitement “était perçu comme”: naturel, tabou, privé, public, un droit. Pourquoi en parle-t-on autant? Pourquoi ressent-on le besoin du privé lorsqu’on parle d’allaitement, pourquoi n’est-ce pas aussi normal que de manger au restaurant avec une fourchette, mettre des lunettes de soleil, ou tout autre geste tout simplement normal, banal? Car au fond c’est ce que l’allaitement est: normal, banal, naturel, un geste qui va de soi.
Je me suis donc intéressée à son histoire, ce qui donne une bonne piste quant à la réaction de la société d’aujourd’hui face à l’allaitement.
L’histoire de l’allaitement
Dans l’Antiquité, l’allaitement était un geste primordial et obligatoire par la mère alors que le recours aux nourrices était perçu comme “OUACHE CACA”: lorsque l’enfant tète au sein d’une nourrice, il téterait aussi ses vices! Au Moyen-Âge aussi, par contre l’usage d’une nourrice était alors là très populaire grâce au Forum Olitorium à Rome:
“Jules César aurait témoigné de l’importance de ce phénomène, en s’écriant sur une promenade publique : “les dames romaines n’ont donc plus d’enfant à porter ni à nourrir qu’on ne voit plus entre leurs mains que des chiens ou des singes” – via infor-allaitement.be
. Dans l’histoire, on note souvent le recours aux nourrices dans les cas de décès de la maman en post-partum, mais aussi plus tard, plus près de nous: à la fin du 16e siècle, par les classes plus aisées qui pouvaient se permettre de louer les services d’une nourrice afin de vaquer plus librement à leurs occupations. Jusqu’à la fin du 18e siècle c’était pas mal comme ça, et au 19e siècle on a vu un tout petit retour à l’allaitement maternel grâce à Mme Louise d’Épinay, une femme de lettres qui allaitait elle-même son enfant, geste perçu comme extravagant par la société d’alors.
Tout au long du 19e siècle, on note l’ascension du biberon et du lait industriel qu’il contient, donc une forte baisse du taux d’allaitement, qui tirait déjà de la patte. L’utilisation du lait de vache commence vers la fin du 19e siècle et vers 1960, et on voit aussi s’éteindre l’utilisation de nourrices (le dernier bureau fermera en 1936). Il faut comprendre que même les nourrices donnaient le biberon de plus en plus comme on transfère de plus en plus les bébés dans des lieux plus proches des parents au lieu de partir plusieurs mois se faire nourrir à la campagne, donc plus de biberons, et donc les conséquences qu’on connait sur l’allaitement. Sauf que les biberons de l’époque n’étaient pas les biberons d’aujourd’hui:
“L’amélioration des conditions de l’alimentation au biberon, quant à elle, fait baisser la mortalité infantile qu’engendraient des biberons contaminés et des laits frelatés. Or cette mortalité infantile effrayante (20 à 30 % de mortalité infantile en 1885, 52 % de mortalité chez les bébés parisiens envoyés en nourrice en 1870) avait été le principal argument des médecins et des politiques pour prôner l’allaitement maternel, et ce dans un but démographique avoué : si l’on ne pouvait faire naître plus de bébés, qu’au moins ceux qui étaient nés ne meurent pas tout de suite, afin que la France ait assez de soldats pour la prochaine guerre contre la Prusse…” – lllfrance

Affiche (1ère guerre mondiale) encourageant l’allaitement maternel
Otis Historical Archives of “National Museum of Health & Medicine” (OTIS Archive 1)
Ensuite, on réfléchit un peu et on améliore la qualité des biberons et du lait industriel qu’on essaie encore et toujours d’ “humaniser” et de rendre de plus en plus “commode” pour les parents: “[…] procédé de Winter et Vigier, procédé de Gaertneer, procédé de Backauss, laits acidifiés, travaux de Marriot, lait concentré, lait desséché…” Et encore aujourd’hui, cette incessante recherche continue toujours pour des raisons bien connues et pas tellement gardées secrètes: l’économie. La production de lait industriel engendre d’énormes sommes, tant dans la fabrication que dans la consommation, alors que le lait maternel est une ressource naturelle est gratuite. On voit donc aussi l’arrivée de la “puériculture scientifique” avec les suivis réguliers avec un docteur pour vérifier la prise de poids, les courbes de croissance, ce avec quoi le lait industriel est en harmonie parfaite vu le mélange qui doit être fait d’une manière bien précise, tant de grammes par jour, etc. ce qui a pour effet de favoriser encore plus le biberon au détriment de l’allaitement maternel. Là nait le “besoin” (voire plutôt phénomène) d’intervalles entre les tétées pour régler l’enfant aux besoins des parents et ainsi les “éduquer” dès leur plus jeune âge:
« Il est bon de tracer d’avance un emploi du temps fixant les heures à laquelle le sein devra être donné et une fois établi, il faudra s’y tenir rigoureusement, aucune considération possible ne devra s’en faire écarter sauf, par la suite, lorsqu’il conviendra d’espacer les tétées. En agissant de la sorte, on habitue l’enfant à ne pas tourmenter la famille incessamment, on lui laisse le temps nécessaire à sa digestion, on permet à la mère de se livrer à ses occupations et de dormir. » – Dr Rehin
Il était aussi d’usage de faire jeuner le nourrisson jusqu’à parfois la fin de son premier jour de vie sous divers prétextes scientifiques:
Dans son Traité de l’allaitement maternel (Masson, 1930), A.-B. Marfan écrit que le nouveau-né « pourra être mis au sein 12 heures après l’accouchement ; mais il n’y a aucun inconvénient à ne l’y mettre que vers la fin du premier jour ». Quant au Dr Rehin, dans sa Nouvelle encyclopédie pratique de médecine et d’hygiène (Quillet 1922), il est encore plus catégorique : « Pendant les premières heures qui suivent sa naissance, c’est-à-dire pendant douze ou quinze heures, il convient de ne pas se soucier de l’alimentation de l’enfant qui d’ailleurs ne réclame rien » – lllfrance
Vers 1980, on commence à voir fleurir les associations d’aides aux mamans qui veulent allaiter. Ça fait un petit peu de bien à l’allaitement qui était plutôt malmené par les campagnes de publicité des préparations commerciales et les accouchements en milieux hospitaliers, et ce, depuis plusieurs décennies, tant dans les pays industrialisés que dans les pays en voie de développement. On veut aussi défaire les croyances populaires “scientifiques” et traditionnelles erronées qui se sont installées dans les foyers et ainsi rétablir les faits en ce qui a trait à l’allaitement maternel et aux soins du nourrisson, car lesdites croyances dites “traditionnelles” et la puériculture dite “scientifique” ont dès lors empêché le succès de l’allaitement chez plusieurs mères. Ces efforts se continuent encore aujourd’hui.
“Après une remontée des taux d’allaitement dans ces années-là (36,6 % d’allaitement au 5e jour en 1972, 46 % en 75/76), les années 80 et la première moitié des années 90 verront une stagnation persistante (43,8 % en 1986, 45,8 % en 1995) alors que dans le même temps, les organisations internationales (OMS, Unicef…) multiplient les initiatives visant à promouvoir et soutenir l’allaitement maternel : Code OMS de commercialisation des substituts du lait maternel, Déclaration commune OMS/Unicef avec les « 10 conditions », Déclaration d’Innocenti, Initiative Hôpital Ami des Bébés, etc.” – lllfrance
Ma conclusion toute personnelle
L’allaitement allait bien (sauf quand on mourrait, bien sûr), jusqu’à l’arrivée du biberon, du lait industriel et de tout ce que la sacro sainte science nous a apportés dans ce domaine, c’est à dire: juste du trouble.
Je vois dans cette histoire l’allaitement comme un bon plat consistant qu’on tente de remplacer par du fast food parce que c’est, à vue de nez, moins de trouble, plus rapide, plus commode, alors qu’à vue de cerveau c’est plutôt le contraire!
L’humain a voulu se simplifier la vie et s’enlever des responsabilités, gagner du temps, inventer des gadgets, tout quantifier, et a en fait créé un genre de monstre qu’il est pas capables d’arrêter de grossir et de l’engloutir: the cash machine. Une fois qu’il y a un filon, de l’argent à faire, essaie pas de convaincre la société qu’on doit pas consommer la chose: ceux qui exploitent ne veulent pas perdre au change et nous brainwashent pour qu’on continue à les enrichir.
Qui sommes-nous, les petites extrémistes aigries et fatiguantes, face à la Grosse Machine?
Je me le demande encore…

Mini Puce, contente d’être allaitée devant un objectif!
Crédit photo: Moments Infinis
Maman Puce
PETITS GUIDES POUR ME FAIRE PÉTER UN PLOMB:
- L’allaitement
- Le dressage du sommeil
- La mère indigne
- Les bébés de foire
- Les mauvaises habitudes
- Les besoins
Sources
Histoire de l’allaitement au 20e siècle, Ligue de la Leche France
Histoire de l’allaitement, infor-allaitement.be
L’allaitement, Wikipédia
J’aime beaucoup ton passage: ”Je vois dans cette histoire l’allaitement comme un bon plat consistant qu’on tente de remplacer par du fast food parce que c’est, à vue de nez, moins de trouble, plus rapide, plus commode, alors qu’à vue de cerveau c’est plutôt le contraire!
L’humain a voulu se simplifier la vie et s’enlever des responsabilités, gagner du temps, inventer des gadgets, tout quantifier”
Je suis bien d’accord avec toi!
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Bravo !!!
belles recherches beau billet je m’y retrouve a 100% dont ton avis personnel
comme tu dit qui somme nous contre la grosse machine a par des petites extrémiste qui n’on rien de mieux a faire ? !!! =P
Chacune apporte toute fois sa pierre a l’édifice j’en suis sur et puis je finirai sur un,
bonne et nombreuses tétées tout contre bébé, à toutes 😉 !
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Les femmes sont aussi devenus plus égoïstes. J’ai déjà entendu “les seins c’est sexuel” et “je veux pas abîmer mes seins”, c’est affligeant…
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Je pourrais malheureusement pas être plus d’accord sur ton choix de mot: égoïstes!
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